Paris : Ch. Reinwald, 1885.
Selon Mariella Villasante Cervello, « le cadre de l’anthropologie physique élaborée au XIXe siècle (et encore repris au cours des premières décennies du XXe siècle)… donnait une interprétation biologique aux différences entre groupes humains, classés selon des critères raciaux ». Ce postulat racialiste, ce projet d’une « histoire naturelle de l’homme » impliquaient inexorablement des enquêtes de terrain, des voyages destinés à accumuler un savoir empirique sur la diversité de l’être humain. Ces récits souvent méconnus car « encombrés » de mesures biométriques, de statistiques comparatives et de controverses conceptuelles, donnent néanmoins à voir des voyageurs particuliers, la plupart du temps des scientifiques en mission, et des voyages originaux par leur objet visant à étudier la diversité biologique des êtres humains.
L’un de ces anthropologues-voyageurs, Ernest Chantre (1843-1924), est, à plus d’un titre, représentatif de ces savants en voyage dont les récits s’apparentent à de véritables études à prétention scientifique cherchant à déterminer une méthode et un cadre de réflexion pour une nouvelle discipline, l’anthropologie physique. A partir de quatre de ses ouvrages (Recherches anthropologiques dans le Caucase publié en 1885-1887 ; En Asie mineure – Souvenirs de voyage en Cappadoce, mis en récit par sa femme et publié dans le Tour du Monde entre août et octobre 1896 ; Recherches anthropologiques en Egypte paru en 1904 ; Recherches anthropologiques dans la Berbérie orientale, co-publié en 1913 avec le docteur Bertholon ancien médecin major de l’armée) il semble possible d’interroger la mise en œuvre, le sens et l’objet de tels voyages et tels discours sur l’Autre (mesurer, comparer, classer mais aussi mettre en scène). En quoi le projet anthropologique de la fin du XIXe et du début XXe implique-t-il nécessairement la multiplication des voyages d’étude ? En quoi finalement ces récits de voyageurs anthropologues rendent-ils compte de l’esprit du temps, des mentalités et des représentations?
Esquissons donc le dessein d’Ernest Chantre et de ses proches collaborateurs, analysons sa méthode d’anthropologue voyageur, tentons de décrypter les tenants et aboutissants de la mise en récit de ses multiples voyages.